« Reefers »: des bateaux « frigos » géants sillonnent les mers, et on sait désormais à qui ils appartiennent
Vidéo GEO : Des navires de pêche chinois exploitent leur équipage et vident l’Océan (mais ce ne sont pas les seuls !)
Le poisson, le carburant et les marins ne vont pas toujours directement des navires de pêche à la terre ferme. Pour gagner du temps, d’immenses cargos appelés « reefers » servent d’intermédiaires. Une nouvelle étude recense 569 de ces gigantesques bateaux réfrigérants à travers les océans, et remonte jusqu’à leurs propriétaires – principalement russes et chinois (Le Temps).
Nastasia Michaels [i] Publié le 01/11/2024
Les « navires-usines » ne sont pas forcément ceux qui pratiquent la pêche industrielle. Parmi ces mastodontes de ferraille qui hantent les océans, certains ne font en effet que réaliser des échanges : marins épuisés contre marins reposés, cargaison de poisson contre carburant… « Reefer » est le nom anglais donné à ces cargos chargés du transbordement et du ravitaillement.
Mais combien sont ces « frigos géants et flottants », dépassant parfois 150 mètres pour une capacité de réfrigération de « 10 000 tonnes et plus » ? Réponse : plus d’un demi-millier, selon une étude publiée dans la revue Science Advances le 11 octobre et repérée par le journal suisse Le Temps.
« L’un des arguments mis en avant pour justifier ce transbordement en haute mer est la réduction de l’impact des pêches sur le climat », explique à nos confrères Frida Bengtsson, de l’université de Stockholm, première auteure de l’étude. En effet, « chaque reefer peut ravitailler plusieurs navires de pêche et éviter leur retour au port », ce qui permet donc de réaliser des économies de carburant.
Un tiers des prises mondiales de thon passe par ces frigos
Ainsi, les reefers pèsent lourd dans l’industrie des produits de la mer : près d’un tiers des prises mondiales de thon (d’une valeur de 10,4 milliards de dollars) est transbordé chaque année. Pourtant, le transbordement est souvent décrit comme « opaque » et associé à des activités illégales, car il peut servir à blanchir le transfert d’espèces pêchées illégalement ou à masquer l’origine des produits.
Tout cela se produit loin des yeux, certes… mais rarement hors de portée des satellites ! Si les pratiques de pêche en mer étaient autrefois « invisibles », les progrès récents en matière de collecte et de partage des données satellitaires permettent désormais aux chercheurs de voir où les navires opèrent. Une seule donnée manquait jusqu’à présent : l’identité réelle des propriétaires, derrière les sociétés ou les prête-noms. Or, dans un communiqué de l’université de Stockholm, Frida Bengtsson l’assure :
Comprendre qui est le propriétaire effectif d’un navire permet d’améliorer la gouvernance et la surveillance de cette pratique (de transbordement).
L’équipe de chercheurs du Stockholm Resilience Center, du Stanford Center for Ocean Solutions (Royaume-Uni) et de l’université de Colombie-Britannique (Canada) a non seulement identifié quelque 569 reefers actuellement utilisés par l’industrie de la pêche, mais surtout, leurs 324 propriétaires. Ceux de nationalités russe et chinoise contrôlent près de la moitié de la flotte (26 % et 20 % respectivement).
10 propriétaires… sur lesquels il serait possible d’agir ?
Dans le détail, dix propriétaires sont responsables à eux seuls de près d’un quart de tous les transbordements effectués dans le monde. Pour Frida Bengtsson, ce résultat constitue en fait une bonne nouvelle, compte tenu des volumes de produits de la mer concernés :
« Si nous travaillons avec ces acteurs clés et que nous les incitons à améliorer leurs opérations, nous pourrons rapidement améliorer la traçabilité et la durabilité des produits de la mer », envisage-t-elle (communiqué).
Les auteurs ont également produit une cartographie des lieux où les propriétaires de ces reefers exploitent leurs navires, des engins utilisés par les navires de pêche qu’ils rencontrent, ainsi que des pavillons utilisés – ceux de la Russie, de la Chine et du Panama représentent 65 % du total. Toutes ces données peuvent désormais être consultées et visualisées librement à l’aide d’un outil en ligne. Une transparence qualifiée de « sans précédent » et désormais, espèrent les auteurs, un « outil essentiel » pour les ONG, les compagnies d’assurances et les acteurs financiers désireux de créer des « incitations plus fortes » en faveur de « comportements durables en mer. » L’espoir est permis…
Nastasia Michaels Journaliste rédactrice web Environnement GEO.fr
[i]
Avant de devenir journaliste scientifique et de publier ses articles dans la rubrique Environnement de GEO.fr ainsi que dans les pages du magazine GEO, Nastasia a côtoyé les chercheuses et les chercheurs dans le cadre de plusieurs stages réalisés au sein des laboratoires du Muséum national d’Histoire naturelle à Paris.
Désireuse de transmettre ses connaissances, elle a complété son Master 2 en « Écologie, Biodiversité, Évolution » à Sorbonne Université (ex Université Pierre et Marie Curie – Paris VI) par un Master 2 en « Journalisme et communication scientifiques » à l’Université de Paris (ex Paris Diderot).
À travers ses nombreux voyages en Afrique, en Amérique centrale et en Asie, elle a développé un vif intérêt pour les relations entre les sociétés humaines et les écosystèmes, terrestres ou marins.
Sa maîtrise de l’anglais (langue maternelle de son père) et de l’espagnol lui ouvrent l’accès à des sources d’information variées, principalement des publications scientifiques dans les domaines de la biodiversité, du climat ou de la botanique par exemple.
La complexité du vivant la fascine chaque jour davantage.